Amants qui nous accompagnez, nomades dans un monde nomade où les ciels et les mers font un ciel pour les morts, amants ô féroces, entre vos nuits bâties et vos jours sans refus, faites la place neuve. Que la foule des hommes y progresse, que ses mille et mille voix comprennent qu’en votre gorge c’est leur chant qui veut naître. Mordre au soleil, trahir la routine des nuages, à distance des toits dévastés lever le front devant l’outrage, savoir que le repos est poussière pour nos yeux, et que le cœur, s’il tient haut sa violence contre le temps, est la trame et l’épilogue, tel est le jeu terrible. Amants féroces, tendres vivants, poètes advenus.
in recueil « Lettre à la femme aimée au sujet de la mort et autres poèmes » – NRF Poésie/Gallimard
XVII
Autant que je pourrai je te ferai sourire
n’attendons pas l’attente ? morsure de chiens errants quête de l’ombre dans l’ombre lampe noire dans la main
parmi les hommes les plus savants marchent sur la nuit et à chaque pas s’enfoncent leurs yeux sont des questions
leur science est faible comme la rosée et leur pensée n’est que baptême de l’énigme
nous ne pouvons attendre vivons dans la vie impossible étendons-nous dans notre corps pour chérir la douceur
la pierre des villes annonce la ruine les langues sont des lampes de vieille tempête et nous participons de la confusion des âmes sous le vent
mais pose ta joue sur les mains fraîches considère que la seule saison claire est le pli du bras qui te porte que la caresse est l’eau qui nous lave et laisse sur nos fronts la grâce du dernier recours
autant que nous pouvons aimons-nous vivants parmi les vivants compagnons de colère et de fête avec nos âmes confuses et la pensée perdue engluée de nuit
autant que je saurai dans notre éternité incomplète déposant à tes pieds une aube éphémère face à la mort nulle je ferai naître un soleil entre tes lèvres
in recueil » Lettre à la femme aimée au sujet de la mort et autres poèmes »
XVIII
Tandis que j’écris ce poème tu dors j’écris pour que tu dormes pour que ma phrase veille sur ton sommeil car il n’y a pas plus grand péril que les songes dont on revient toujours séparé de soi-même
il faut que ces mots respirent avec toi qu’ils boivent la nuit à tes lèvres et qu’ils nous lient tous deux face à la mort selon la loi des simples
il y a ces solitudes infinies que nous sommes chacune de nos pensées est un arbre grelottant et la peau durcit qui sépare les paroles et sépare les âmes
j’attendrai jusqu’à la consomption de la dernière étoile penché sur ton visage et sur l’ombre où étrangement tu disparais
je formerai un langage autour de ton sommeil il sera tissé de ce vieux lin qu’on prend dans les armoires langage que j’étends sur toi et qu’il épouse un rythme dans ton cœur
tant que tu dormiras mon poème tiendra la veille cherchant dans la nuit ton œil bleu
nous attendrons ainsi le jour inexplicable
puisse-t-il mon poème parlant au bord des draps ôter la pierre sur ton souffle
in recueil » Lettre à la femme aimée au sujet de la mort et autres poèmes »
Il y a ce grillon que son cri désaltère, posant sa permanence à nos mains allumées.
Il n’aime que la nuit qui pénètre son chant et ne cède jamais qu’à l’été du désir.
Il n’a pas d’impatience. Sa beauté y pourvoit.
Devenus muraille ou proclamés silence, nos corps ne remuent que pour troubler peut-être la crue de sa présence.
Dieu, quel ex-voto pour nos libres étreintes, les marges obsédantes de qui voulait le miel du plaisir !
Il y a ce grillon qui bruit dans nos étreintes.
Trente élégies de l’ardeur, 1985
LE MOT
Je cherche un mot vaste et chaud
Comme une chambre
Sonore comme une harpe
Dansant comme une robe
Clair comme un avril
Un mot que rien n’efface
Comme une empreinte dans l’écorce
Un mot que le mensonge ne séduit pas
Un mot pour tout dire
La mort, la vie,
La peur, le silence et la plainte
L’invisible et le doux
Et les miracles de l’été
Depuis si longtemps je cherche
Mais j’ai confiance en vous :
Il va naître de vos lèvres.
QUAND JE DIS
Quand je dis
Les pommes blanches du plaisir
La table ronde du sommeil
Et le regard brisé des fontaines
Quand je parle de la neige aux chiens bleus
Ou de la nuit qui souffre
Du vagabond qui va
Une bougie d’ombres
Dans la main
Quand je nomme
Verger la patience
Raisin le goût des lèvres
Et jardin ton visage
Je me comprends.
Lettre à la femme aimée au sujet de la mort et autres poèmes de Jean-Pierre Siméon
celui qui défroisse et apaise
quand mon pas mal tenu
parvient jusqu’au matin
et vacille
sur le sol flou de l’univers
dans ma main posée sur ta main
il n’y a pas de consolation
mais une patience
qui nous tient prêts
au bord du gouffre et de la joie
Il y a des mains de bruyère
qui nous font signe
sur les chemins du soir.
Il y a des mains d’eau calme
qui dorment sur le sable.
Il y a la main de l’aube
où la mésange fait son nid.
Et la main de pierre aussi
où le lézard se nourrit de soleil.
Toutes les mains ont leur histoire
qu’elles soient filles des oiseaux
ou de la neige reposée
ou rude écorce
ou feuille douce
et la caresse est leur mémoire.
Pour tout poème inassouvi
Nous ne vieillirons pas
mon ami
je le jure
si nous faisons du temps
le jardin de nos rives
si nous suivons les pas de l’été
dans les fleurs
si nous marions nos mains
aux fontaines prodigues
si chaque jour nouveau
est un nouveau voyage
et le beau partage du fruit
pour nos lèvres
Ainsi se décide l’impossible
comme une caresse
Entre le monde et l’amour
le lien est d’eau qui tremble
Tes mains sont un fruit
autant que la rondeur de l’été
Et la révolution et les désastres
sont l’œuvre d’un regard
ou d’un baiser demeuré vide
Tout désir est une enfance revécue
au bord d’un ruisseau
Toute vaillance dans le pas
est nouée au sommeil le plus chaud
Ainsi l’avenir
cet ordinaire du pauvre
est la trace indécise
d’une main sur ta peau
Nous ne vieillirons pas
l’eau est née pour la source
nous sommes nés pour vivre
Extrait 4
Vous n’aurez que faire d’une jouissance sans dévotion. Votre
amour sera une cascade invincible, vous n’applaudirez plus qu’aux
prairies animées du désir. Mais, je vous le dis, le poète n’a que des
victoires malmenées.
N’hésitez plus pourtant : soyez assidus à la terreur comme à la
tendresse. Nous avons besoin comme jamais de regards urgents,
de doutes consentis et de caresses scintillantes.
Risquez tout, risquez votre visage et votre geste dans des fontaines
sans pitié ; votre audace claquera comme le fouet de l’aube sur
une mer dépourvue, le ciel enfin valide pèsera à votre poitrine,
vous mépriserez l’absence et son gravier mort, vous aurez honte
de l’instant médiocre qui assassine.
À votre épaule dormira un essaim amoureux.
tiennent dans leurs paumes
l’unique preuve, leur joie, galet brûlant.
La vie dort et remue,
bat la roche du cœur,
use l’instant
sur le tranchant des jours
et dispose des biens de la terre
dans l’instant où mon front
s’incline à ton sourire
Fresque peinte sur un mur obscur de Jean-Pierre Siméon
amant amante
l’éternelle légende
du soleil avalé
par un regard d’enfant
plus tard bien plus tard
viendront les heures humaines »
L’air est invisible
mais c’est lui qui tient l’oiseau.
À mains gourmandes, cœur comblé.
jusqu’au sang
aimons nous c’est renaître »
plus vrai même que la pierre et le fer
parce ce qu’on se sent un coeur battre
dans le chaud de la chair »
II. LES AMANTS FONT EXACTEMENT…
Les amants ont un sourire
à opposer
à la métaphysique creuse de l’horloge.
Non que d’une pensée sans but leur débat soit exempt !
Même assis aux terrasses des cafés
leurs mains cherchent de vastes nuits
et leur bouche s’ouvre sur des prières de hasard.
Les chambres de l’amour sont encombrées.
Pas une caresse qui ne déplace une ombre
et ne bouscule les vieux meubles du monde.
Les bras heurtent les murs
et les cheveux se prennent à la clarté des lampes.
La liberté et l’oubli sont choses concrètes
comme la pierre.
Les amants quand ils dorment
leur bouche embrasse la chair des songes.
Dieu, la mort et le néant sont là sur la chaise,
chemises prêtes à nouveau pour la sueur du jour.
Une joie chaude
interroge les fins dernières
et se détourne, et rit de leur silence.
Un essaim amoureux de Jean-Pierre Siméon
Extrait 2
nid d’hirondelle
dans le noir
ah ce n’est pas cela un amour de légende
qui se targue des mélancolies
et geint à genoux sous la couronne de roses
toi mon aimée demeure princière en ton rire
chaque matin devant ta mort et ma mort
sois libre et fière et ferme
car il suffit de la caresse d’un rire
pour que tout en nous se recompose
et que soit le monde uniment
sous nos mains le passage et la durée
la nudité d’une âme dans la douceur du corps
Un essaim amoureux de Jean-Pierre Siméon
Extrait 3
nous mourrons mon amour sans rien perdre
si nous séjournons visages étonnés
dans l’instant qui nous prolonge
et fait de nos gestes les plus simples
‒ baiser murmure épaule lente –
un feu dormant
demeurons mon aimée
fût-ce au cœur d’un sanglot silencieux
une joie ouverte
sommet de l’éclair
rire et bonté persistants
dans la disparition
I – POÈMES DU MATIN //1 – ÉVEIL
Nous contenons tout
mélancoliques
et hardiment repris
par l’instant
quand notre bouche s’ouvre
à l’éveil
oui à la mélancolie du monde
et oui encore
à l’autre nom de la beauté
ton visage
nous voici posés sur l’incertain
un coup d’aile et son regret
et tôt venue
la lumière qui décide
un ciel cache un ciel
dans tes yeux
où seul l’amour est possible
tes yeux sont le second poème
Lettre à la femme aimée au sujet de la mort de Jean-Pierre Siméon
On voudrait tenir le feu entre ses dents
et qu’il dure et que s’en perpétue la saveur
comme d’une feuille dans l’herbier
on voudrait laisser venir
entre soi et l’amante
la tombée du soir
pour qu’agisse sous les beautés muettes
l’autre lenteur du monde
un amour d’abord confondu
avec la fraîche ivresse
et puis rondeur au fil des jours
comme une planète dans la paix des ombres
on voudrait se tenir
dans le retrait chantant d’une fenêtre
l’œil comblé d’horizon
bouche bâillonnée
par le jour