Fragments de « Les amants ne devraient porter que des mocassins » Editions Humus.
« Marie madeleine récidive à travers moi mais, elle se gardera bien de se repentir cette fois « . Elle sortit, quelques gouttes perlant sur ses épaules, de ces gouttes qu’il ne faut jamais sécher, que seule une langue assoiffée d’étoiles doit convoiter, recueillir et boire.
Mais n’est-ce pas toi qui m’écrivit suite à notre première rencontre : « J’ai tellement aimé en toi cette liberté déconcertante, cette audace magnifique ? »
Que voulez-vous boire ? Du vin, répondis-je à la serveuse sans hésitation. Tu sais, depuis que je te connais, j’exagère avec le vin car je sens qu’à chaque gorgée , c’est toi qui coules en moi. Ce n’est plus vraiment du vin. C’est tes lèvres et ton odeur et ta sève et ta langue et ton souvenir… Non, pas ton souvenir. Parler de ton souvenir serait te condamner à un passé menotté et le passé ne me dit rien s’il n’est pas aussi et surtout une main libre tendue vers un fruit qui mûrira. Je me vois donc voluptueusement allongée sur ton lit, entre une bouteille de Bordeaux et un rêve, le corps tendu vers ta coupe comme un arc ivre qui n’aspire qu’à lâcher prise, pluie de désirs qui ne veut que se déverser.
Car c’est la vigne qui mûrit le soleil, tu dois l’avoir découvert depuis longtemps…
L’interdit et l’insolite ne sont-ils pas les deux clitoris de la tête ? Elle observe de plus près et frissonne un peu car on avait intensifié l’air climatisé. Elle frissonne aussi parce qu’elle veut. La couronne des seins se dresse, crie, réclame une bouche, une langue, des dents. Il est des appétits despotes qu’une femme ne peut assouvir seule. Heureusement.
Qu’est-ce que tu me manques, mon scandalisé ! Tout manque : notre complicité, nos fous rires, la poésie que nous sommes ensemble, ma retenue passionnée, ta passion retenue, ma chaleur sous tes mains et ton chapeau ému sur ma tête…
Je danse en pensant à toi : les yeux fermés, la tête ouverte, l’imaginaire coulant à flots. Je me balance lentement et t’appelle avec les hanches, les cheveux et les lèvres. Avec toutes mes lèvres. Je nous pille, nous invente dans les versions possibles et impossibles du rêve, et brûle. Et j’adore cette brûlure ancrée en moi, je la soigne, la maintiens, la nourris dans l’attente que tu la nourrisses à ton tour, sachant que trop de rêve nuit au feu, et que ce dernier a besoin de vrai bois de temps en temps afin de rester incandescent.
J’adore la première pénétration et, si je devais choisir le moment que je préfère le plus dans un acte d’amour, je choisirai infailliblement celui-là. Celui où l’homme m’écarte, la première seconde interminable où il me pénètre, me faisant un peu mal aussi car je ne m’ouvre vraiment qu’au contact de son sexe. Tous les préludes possibles, bien qu’ils me soient délicieux, n’y font rien. Et rien au monde n’égale cette sensation, ce versement violent et tendre du tout dans le tout.
Larbre se penche et la femme-rivière commence à couler. Lentement mais avec empressement, une main sort de l’onirique et glisse sur elle. Ce n’était pas la sienne. C’était tour à tour celle de chacun des hommes qui la convoitaient. De chacun ou de tous à la fois. Le parfait singulier pluriel. Femme forte, hardie, insatiable, mais tendre. Une main qui sait . Une main qui, surtout, n’attend pas : qui prend. Sa tête s’allume, délire, brise. Elle s’aventure là où beaucoup de non-dits, de non-faits et de méfaits attendent d’exploser. Le miel de ses yeux l’admire et chante. Ses doigts s’essouflent, ralentissent, plongent, vagabondent à l’entrée du temple. Ils contournent, taquinent, voltigent puis reviennent.
Toujours debout, la femme écarte les cuisses pour s’accueillir et les resserre violemment. Sa main effleure le sourire vertical, l’entrouvre, le titille, insiste puis s’enfuit. Tantôt elle laboure et tantôt suggère. La source jaillit, le vin gicle.
Une langue, une soif, vite !
En me dirigeant vers la salle de bains je remarquais sur une console à ma droite un grand plat de bonbons à la menthe. Assis sur les bonbons un homme pris en sandwich entre deux Lolita dégrafait la réticence de l’une et le sang froid de l’autre, tout en se débattant avec son pantalon et ses chaussures, qu’il n’arrivait pas à dénouer. Je faillis éclater de rire en me rappelant ta phrase d’il y a quelques jours : « Les amants ne devraient porter que des mocassins » .
La femme qui avait l’eau à la bouche – et ailleurs – se tint devant le grand miroir, entrouvrit le rideau de sa jupe et couva sa toison des yeux, L’homme aux mocassins lui avait demandé de laisser pousser les poils pour leur prochaine rencontre.
Elle se contempla, le rêvant bien enraciné dans ce jardin ardent qui le réclamait et se dit : « La prochaine fois, à peine entré, je ne le laisserai plus sortir. Il restera là pour le restant de sa vie, nouvelle colonne érigée dans mon temple éternel, premier réfugié sexuel de l’Histoire, cuit à petit feu et sans cesse savouré, tendrement enveloppé par l’argile de mes désirs, à s’enivrer et à écrire les histoires que personne n’a jamais osé ni su écrire.