Andrée Sodenkamp

 

FEMMES DES LONGS MATINS

Femmes des longs matins, mes belles amoureuses
Dont le nom s’attardait à la bouche des morts
Qui faisiez du malheur une brûlante rose
Et déchiriez le temps entre vos ongles d’or.

Est-ce la
Nonne ardente et que
Juan oublie

Ou dans ses jupons fous, l’innocente
Manon,

Cléopâtre tapie au creux des pierreries

Qui retient son amant, au poing, comme un faucon ?

Voici celle qui vint de la
France en
Ecosse, Éblouie comme l’aigle au soleil des plaisirs,
L’abeille qui foudroie en son plein ciel des noces
Et met le goût du sang aux saveurs du désir.

Nous sommes belles par nos seins levés dans l’ombre
Par nos hanches donnant le merveilleux danger
Et dans l’odeur d’amour ouverte sur vos tombes
Nous régnons sur l’amant qui a les yeux fermés.

Les loups

C’était un beau soir de tempête,
Tant de loups assemblés étaient bons pour mon âme.
J’appelais par-delà la neige de la mort
des êtres bien-aimés encore chauds de fourrure.
C’était un beau soir de tempête.
Les arbres criaient,
le ciel balayé ne pouvait les suivre.
Mon âme ouverte ressemblait à la gueule du loup.
Je marchais avec la tempête,
très vite, par-delà mes horizons vivants
et je mordais comme les loups
la chair blessée des vieux chagrins.

Je suis ton grain pesé

Je suis ton grain pesé, ta paille remuée
Ton pain sorti du four et la lampe allumée
Qui marque ta maison.

Pourquoi chercher ailleurs l’oubli qui me ressemble ?
L’amour est sans repos.
Si tu meurs avant moi, nous partirons ensemble,
Mon plaisir dans tes os.

Qui es-tu
si différent de moi que parfois je t’oublie?
Qui es-tu avec ton orgueil bardé d’acier,
tes yeux froids, tes mains chaudes, tes colères?
D’où viens-tu?
De quelle maison en ordre,
de quel passé sévère, de quelles amours faciles?
Quand vais-je te joindre pour ne plus te perdre,
t’avoir en moi comme l’hostie,
effacer nos frontières de peau,
toucher la vérité sur ta bouche
et la reconnaître.
J’ai perdu des jours et des jours
à te poursuivre pendant que tu m’étais donné,
à t’appeler pendant que tu me parlais.
Je suis lasse de Toi
comme d’un chemin qu’on fait les pieds blessés
et cependant j’ai faim de Toi,
la pesante faim
que personne encore n’a pu nommer.
Quand t’aurais-je ouvert jusqu’à l’âme?
Quand serais-je devenue si faible,
si consentante, si donnée
que tu ne sauras plus que faire de moi?
Je suis patiemment ton ennemie et ton amour,
le guet.
Es-tu entré une seule fois
à l’intérieur de toi-même
pour t’y rencontrer,
te parler,
m’accoler à Toi
entre Toi et Toi?

Dépêche-toi.
Je m’occupe à mourir.

Ô ma bête de feu aux mamelles de terre,

Je voudrais te prier, asile des forêts,

De me guérir enfin de tout l’esprit que j’ai,

De toute ma frileuse et puérile hermine

Et que je hume alors en de larges narines

Ce levain de pain noir qui soulève ta chair.

Recueil. Sainte Terre

Margareta Matiena de Bohême

 

À Madame Émilie Noulet

Ma Mère d’autrefois, Ma Mère des guimbardes,
Ogresse du beau temps, voleuse d’horizons,
Vous qui faisiez le feu avec la paix des arbres
Et qui aviez l’Été pour immense maison.

Pourquoi m’avoir donnée à la race marchande,
Vendue aux bonnes gens pour quatre aunes de pré ?
Que j’aurais mieux grandi, bercée à votre hanche
Quand le vent est la mer où l’on peut naviguer

Puis traînant après moi de noirs enfants superbes,
J’aurais pillé l’amour, les granges et les fruits
À l’ombre des chevaux, dans la poigne de l’herbe,
Mes larges flancs heureux, que j’aurais bien dormi.

Ma Mère sans pays qui marchez dans mon sang
Pourquoi m’avoir jetée hors des sorcelleries ?
Il me faut donc mourir sur le vieux sol flamand
Comme un loup attaché au bord des bergeries.

 

Trop longtemps nous avons fait la cour à la rose Celui que ne connaît de lui que sa peau et les six portes battantes de ses sens imparfaits doit apprendre qu’il est bien plus vivant qu’il ne croit et bien plus mort sans cesse. Ne plus nous mesurer seulement comme si nous n’étions que l’orage apparent, le plaisir en marche, l’invisible pensée, mais faire tourner dans la parole ce moulin d’espaces où la cellule régit son univers. Ecouter en nous rouler les galaxies infimes où nous tenons le jeu miraculeux de la plus intime vie. Se sentir solennel à être incommensurable. Puis renversant notre épaisse tête, chercher le troupeau des étoiles. Souder le ventre du ciel et voir dans la terreur de l’immense jusqu’aux frontières de ces cirques rutilants. S’abreuver à la certitude du vide. Aiguiser le langage sur l’infini et perdre la raison dans des clartés foudroyantes enfin visibles.

(C’est au feu que je pardonne)

 

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