Pierre Louÿs

L’ÉTREINTE ÉPERDUE

 

Aime-moi, non pas avec des sourires, des flûtes ou des fleurs tressées, mais avec ton cœur et tes larmes, comme je t’aime avec ma poitrine et avec mes gémissements.

 

Quand tes seins s’alternent à mes seins, quand je sens ta vie contre ma vie, quand tes genoux se dressent derrière moi, alors ma bouche haletante ne sait même plus trouver la tienne.

 

Étreins-moi comme je t’étreins ! Vois, la lampe vient de mourir, nous roulons dans la nuit ; mais je presse ton corps brûlant et j’entends ta plainte perpétuelle…

 

Gémis ! gémis ! gémis ! ô femme ! Erôs nous traîne dans la douleur. Tu souffrirais moins sur ce lit pour mettre un enfant au monde que pour accoucher de ton amour. 

Pierre Louÿs  in  Les Chansons de Bilitis, 1895

LA SENTEUR DES REINS

  
Quand tu dors à plat ventre et tes yeux sur tes mains 
Je relève ta chevelure de sorcière 
Qui voile, comme un bois funèbre les chemins, 
Ton corps de boue obscène et de basse poussière. 
  
Au fond des reins creusés en selle pour Satan 
La rainure de tes vertèbres se prolonge 
C’est là que lasse d’être, et d’avoir souffert tant, 
Ma face, avec une fureur farouche, plonge. 
  
Oh ! quelle odeur de chair et de rut convulsif 
Croupit au creux des reins sous qui ronfle le sperme… 
Ma bouche sur tes os postérieurs se ferme, 
  
Et je froisse à ta peau mon visage lascif 
Qui hume en râlant comme un éphèbe impubère 
Ô femme ! l’âcreté de ton odeur lombaire ! 
  
Pierre Louÿs – 6 février 1891. in La Femme.

Les yeux sont moins purs que les seins ; 
Plus que les bras les dents sont blanches 
Mais quelles chairs sinon les hanches 
Sont lascives sur les coussins 
  
Le réseau de leurs bleus dessins 
Striés en veines de pervenches 
Contient leur chaleur que tu penches 
Provocante des chers desseins. 
  
Mais elles sont, ô douce amie, 
Les valves d’une huître endormie 
Où des perles rares se font 
  
Et mon pâle amour lorsqu’il entre 
Cristallise peut-être au fond 
En colliers autour de ton ventre. 
  

Pierre Louÿs  le 10 janvier 1891. in La Femme.

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