André Laude l’Insoumis

Ne me demande pas pourquoi j’écris
ne me demande pas pourquoi tête la première
je plonge dans le tumulte volcanique des syllabes
que le passage de mon corps réveille
Ne me demande pas pourquoi au lieu de dormir
comme font les honnêtes gens
je cloue à minuit des papillons de couleurs et de sons
sur le ciel des solitudes
Ne me demande pas pourquoi je saigne auprès des lampes
ne me demande pas pourquoi dans la rue
j’enlace le tronc d’un marronnier en pleurant les cheveux sur les yeux
pour ne pas être vu
Ne me demande pas pourquoi Lazare appelle et parle dans mes veines
pourquoi je bondis d’un espace à un autre
pourquoi j’enfonce les ongles dans la jacinthe brûlante des draps
alors que déchiré d’amour j’ai une respiration de fleuve entraîné par l’élan élémentaire
Ne me demande pas pourquoi ceci n’est pas vraiment un poème,
mais un feu de mots soudés par la salive le souffle
Ne me demande pas
Écoute. Regarde. Ouvre les mille pupilles sèches de ton sang
Tends l’oreille dans la direction de la rue de la terre sueurs et larmes
Écoute
Regarde :
Les géantes copulations de la clarté et du néant
le temps aux tempes des hommes. Les éclairs des famines.
Ne me demande pas.

***

si j’écris c’est pour que ma voix vous parvienne

voix de chaux et sang voix d’ailes et de fureurs

goutte de soleil ou d’ombre dans laquelle palpitent nos sentiments

si j’écris c’est pour que ma voix vous arrache

au grabat des solitaires, aux cauchemars des murs

aux durs travaux des mains nageant dans la lumière jaune du désespoir

si j’écris c’est pour que ma voix où roulent souvent des torrents de blessures

s’enracine dans vos paumes vivantes, couvre les poitrines d’une fraîcheur de jardin

balaie dans les villes les fantômes sans progéniture

si j’écris c’est pour que ma voix d’un bond d’amour

atteigne les visages détruits par la longue peine le sel de la fatigue

c’est pour mieux frapper l’ennemi qui a plusieurs noms.

***

Calmement j’annonce les temps neufs
Calmement j’annonce les revendications
De soleil et de chair du peuple
Calmement je vous crache à la gueule
si vous dites que tout ceci n’est pas de la poésie
Calmement j’écris ce qui précède
Et ce qui va suivre
En sachant bien que la langue
Doit coller à la vérité des hommes
Qu’elle doit se faire humble, salir ses mains
A l’huile des moteurs
Se vêtir de gros draps
Trainer dans les taudis et les hôpitaux
Visiter les solitaires les malades les angoissés les humiliés et offensés
Boire avec les ouvriers des trains du petit jour
Calmement je vous répète que je me fous
De savoir si les esthètes les branleurs du verbe
Auront ou n’auront pas la nausée
En lisant ces paroles absolument sincères qui ne cherchent pas l’absolu

***

Poésie et vérité 1971

Extrait 2

Nous savons saluer l’aurore
nous sommes civilisés
nous faisons comme tous les peuples
l’amour la guerre des enfants
nous enrichissons les riches
avec notre sueur notre imagination notre sens de l’ouvrage
  bien fait
nous sommes de bons citoyens
on nous récompense royalement : exil migraine chômage
  rêves différés accidents du travail
Nous nous lavons les dents
avec des dentifrices célébrés dans les colonnes du Monde,
  de L’Humanité ou du Figaro
parfois nous attrapons la mauvaise fièvre gauchiste
les poux de la subversion nichent dans nos cheveux
nous parlons français. Avec l’accent. Longtemps nous avons
  tourné la tête pour pleurer
quand le vieux parler irritait soudain nos paupières
Mais maintenant c’est fini
Nous savons saluer l’aurore
nous avons étudié l’économie
nous savons à quoi nous en tenir
nous sommes des êtres humains à part entière
nous savons à quoi nous en tenir
LA RÉVOLUTION OCCITANE fleurira bientôt en livres de
sang et foudre dans les vitrines des libraires du Quartier latin.

***

Parce que nous en avons assez d’être parqués dans les

pâtures empoisonnées du malheur

parce que nous en avons assez de loger dans l’aile en

ruine de l’histoire

parce que dans nos poignets brûlent des avoines et des

seigles de tendresse

parce que des faims neuves provoquent des émeutes au

fond des faubourgs du sang

et que les écluses de la patience fléchissent à travers la

géographie mouvementée de notre rêve

Nous allons seller les chevaux fabuleux de la révolte et

du courage…

***

André… né un 3 Mars 1936, parti un jour de 1995, on ne sait où… Mais il est toujours là parmi nous, plus que jamais. Ce jour amour, c’était le poète, l’homme insoumis des mots. Plus tard, je te donnerai à lire l’amoureux.

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