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Derniers jours de solitude

ILL. Jana Brike –  » lady and her wildman lover »

Dormir dormir au plus profond de ta chair allumée
Dormir dormir après t’avoir aimée Avant de t’aimer encore

Dormir dormir comme en un songe de poème occitan
sans souci du vent du temps des eaux qui rongent le sol

Atteindre cette transparence inusable
Ce bleu tenu au secret au cœur des sables

S’éveiller rosée au bout de tes doigts
lumière de mai au creux du duvet de ta voix

pour une éternité sans rives ni rumeurs
Bloc de cristal enfin délivré de la blessure de la séparation.

*

Au fond de tes yeux Ô voyageuse insensée
dorment des taureaux
de tendresse et de fièvre

Sous ma peau rugissent des fauves aux dents violentes
qui déchirent et dévorent interminablement mes mots

Ces mots que pour tes cils d’herbes des grandes prairies
je rameute dans le froid de la nuit

la poitrine brûlée par la toux rauque
les lèvres sèches Les lèvres ouvertes à force de prières.

*

I
Le soleil gesticule entre les herbes vertes
Tes jambes sont des colonnes de brumes
II
Il fait jour sur ta bouche et dans tes seins
Sur ton front je puise l’eau du matin
III
les songes noirs sont rentrés sous terre

la longue pérégrination débouche sur la lumière
IV
Tu m’apprends un pays un alphabet d’arbres et de chemins
tu me révèles le mouvement des sèves et des pollens
V
Surgi de l’obscurité mes yeux tremblent à l’orée
de l’éblouissante clarté des jardins
VI
Enfoui dans ta chair blonde jusqu’au sang secret
je déchiffre la douce haleine du divin
VII
je suis maintenant vaste comme une steppe une pampa
Lové dans ton souffle je sais que je ne meurs pas
VIII
Sur les parois de la chaleur ton nom est une étreinte
Et la mort gémit à l’instant où je la feinte.

*

Pour toujours toi et moi
confondus dans le miroir des saisons

deux racines surgissant du même humus
deux feux soudés par l’éclat de la passion

Pour toujours Eurydice et Orphée
En une seule gerbe

saluée par le cri des fées
le cantique des cantiques des herbes.

*

Dans tes yeux voyagent des caravanes
Dans tes paumes transitent des steamers
aux noms d’îles de brûlants pavots
Dans tes seins rient des enfants clairs

Dans mes paroles meurent des vaisseaux
des femmes aux cheveux dénoués
Entre mes épaules sombrent des neiges pures
Quand je crie c’est pour effrayer l’azur

Dans tes lumineuses joies errent des continents
Dans ton sexe flambent des palais de Babylone
Dans ton sang hurle le loup des songes écarlates
Dans ma voix blanchit la langue des hautes époques.

*

Un troupeau d’étoiles bételgeuse
pour mes famines secrètes
Une femme liane et bambou
La Beauté assise sur mes genoux
De quoi tenir tête
aux clous
aux hiboux
aux fous
À la mort haineuse
ennemie de toutes les fêtes
et des amants libres et debout.

*

Que les morts se taisent sur ma bouche
Que j’ose vivre enfin
donner la pâtée aux chiens lugubres de mes désirs
libérer les océans qui dorment fourbus dans mes reins
Je ne veux plus être le gardien sombre
de tous ces corps déchus
de tous ces songes passés au fil de l’épée
je veux être debout parmi les blés et les écumes
du Pacifique
Que les morts se taisent au noyau de mon chant
qu’ils cessent d’empoisonner ma rugueuse marche
j’ai soif d’espace et d’une Femme aux lèvres
de lait de chèvre
j’ai hâte de bâtir demeure d’herbes et d’argile
foulée aux pieds
Que les morts se taisent quand mes enfants
rient au bord de la rivière
j’ai vertige d’une prairie, d’un matin aux lueurs
de safran
Je veux qu’on m’accueille au pays des sèves et
des poussières
Sachez qu’autour des feux gitans on parle de
moi on m’attend
La plus belle fille de la tribu qui a des yeux de
charbons ardents
prendra ma main quand je surgirai, dira l’ancien :
« Père voici mon amant. »

*

Avec ces mains qui ont tué l’ennemi
je te fais briller à minuit

Avec ce sang aux cicatrices innombrables
je couvre ta nudité Je défends ton silence de femme

Avec ces ongles qui ont rageusement griffé l’arbre
quand l’absolu se dérobait comme une lueur folle

Je t’arrache au sommeil des mortes.
Avec cet amour paysan je te donne feuilles et fruits

Avec ces lèvres qui ne sont que douceur et tremblement
je t’épouse dans un tumulte de fleurs rouges.

André Laude – Extraits du recueil

UN TEMPS
À S’OUVRIR LES VEINES
Paru en 1979 chez Les Éditeurs français réunis – collection « Petite Sirène » Paris.

André Laude l’Insoumis

Ne me demande pas pourquoi j’écris
ne me demande pas pourquoi tête la première
je plonge dans le tumulte volcanique des syllabes
que le passage de mon corps réveille
Ne me demande pas pourquoi au lieu de dormir
comme font les honnêtes gens
je cloue à minuit des papillons de couleurs et de sons
sur le ciel des solitudes
Ne me demande pas pourquoi je saigne auprès des lampes
ne me demande pas pourquoi dans la rue
j’enlace le tronc d’un marronnier en pleurant les cheveux sur les yeux
pour ne pas être vu
Ne me demande pas pourquoi Lazare appelle et parle dans mes veines
pourquoi je bondis d’un espace à un autre
pourquoi j’enfonce les ongles dans la jacinthe brûlante des draps
alors que déchiré d’amour j’ai une respiration de fleuve entraîné par l’élan élémentaire
Ne me demande pas pourquoi ceci n’est pas vraiment un poème,
mais un feu de mots soudés par la salive le souffle
Ne me demande pas
Écoute. Regarde. Ouvre les mille pupilles sèches de ton sang
Tends l’oreille dans la direction de la rue de la terre sueurs et larmes
Écoute
Regarde :
Les géantes copulations de la clarté et du néant
le temps aux tempes des hommes. Les éclairs des famines.
Ne me demande pas.

***

si j’écris c’est pour que ma voix vous parvienne

voix de chaux et sang voix d’ailes et de fureurs

goutte de soleil ou d’ombre dans laquelle palpitent nos sentiments

si j’écris c’est pour que ma voix vous arrache

au grabat des solitaires, aux cauchemars des murs

aux durs travaux des mains nageant dans la lumière jaune du désespoir

si j’écris c’est pour que ma voix où roulent souvent des torrents de blessures

s’enracine dans vos paumes vivantes, couvre les poitrines d’une fraîcheur de jardin

balaie dans les villes les fantômes sans progéniture

si j’écris c’est pour que ma voix d’un bond d’amour

atteigne les visages détruits par la longue peine le sel de la fatigue

c’est pour mieux frapper l’ennemi qui a plusieurs noms.

***

Calmement j’annonce les temps neufs
Calmement j’annonce les revendications
De soleil et de chair du peuple
Calmement je vous crache à la gueule
si vous dites que tout ceci n’est pas de la poésie
Calmement j’écris ce qui précède
Et ce qui va suivre
En sachant bien que la langue
Doit coller à la vérité des hommes
Qu’elle doit se faire humble, salir ses mains
A l’huile des moteurs
Se vêtir de gros draps
Trainer dans les taudis et les hôpitaux
Visiter les solitaires les malades les angoissés les humiliés et offensés
Boire avec les ouvriers des trains du petit jour
Calmement je vous répète que je me fous
De savoir si les esthètes les branleurs du verbe
Auront ou n’auront pas la nausée
En lisant ces paroles absolument sincères qui ne cherchent pas l’absolu

***

Poésie et vérité 1971

Extrait 2

Nous savons saluer l’aurore
nous sommes civilisés
nous faisons comme tous les peuples
l’amour la guerre des enfants
nous enrichissons les riches
avec notre sueur notre imagination notre sens de l’ouvrage
  bien fait
nous sommes de bons citoyens
on nous récompense royalement : exil migraine chômage
  rêves différés accidents du travail
Nous nous lavons les dents
avec des dentifrices célébrés dans les colonnes du Monde,
  de L’Humanité ou du Figaro
parfois nous attrapons la mauvaise fièvre gauchiste
les poux de la subversion nichent dans nos cheveux
nous parlons français. Avec l’accent. Longtemps nous avons
  tourné la tête pour pleurer
quand le vieux parler irritait soudain nos paupières
Mais maintenant c’est fini
Nous savons saluer l’aurore
nous avons étudié l’économie
nous savons à quoi nous en tenir
nous sommes des êtres humains à part entière
nous savons à quoi nous en tenir
LA RÉVOLUTION OCCITANE fleurira bientôt en livres de
sang et foudre dans les vitrines des libraires du Quartier latin.

***

Parce que nous en avons assez d’être parqués dans les

pâtures empoisonnées du malheur

parce que nous en avons assez de loger dans l’aile en

ruine de l’histoire

parce que dans nos poignets brûlent des avoines et des

seigles de tendresse

parce que des faims neuves provoquent des émeutes au

fond des faubourgs du sang

et que les écluses de la patience fléchissent à travers la

géographie mouvementée de notre rêve

Nous allons seller les chevaux fabuleux de la révolte et

du courage…

***

André… né un 3 Mars 1936, parti un jour de 1995, on ne sait où… Mais il est toujours là parmi nous, plus que jamais. Ce jour amour, c’était le poète, l’homme insoumis des mots. Plus tard, je te donnerai à lire l’amoureux.

A CŒURS réponses denses

Maria Casarès à Albert Camus au mois de Mai de 1959



Albert Camus à Maria Casarès
Maria Casarès à Albert Camus

Amour , tu sais maintenant que je les aime tous deux dans la si belle expression de leur amour . Je sais que tu les aimes aussi car dans la singularité de leur passion, ils ressemblent néanmoins à tous les amoureux. Aujourd’hui j’avais de nouveau envie de nous les partager…

Aimer en lys

ILL. et haïku D’ailes fines

J’AVAIS UNE FLEUR

J’avais une fleur – appelée : lys –

Dans mon jardin elle vivait, à moitié cachée

pudique et virginale le jour :

Une Marie immaculée florale

Mais la nuit elle dénudait son sexe

Ardente, elle luisait dans le noir

Elle brûlait, suave, sensuelle

comme une Marie-Madeleine pécheresse

Hulda Lütken – poétesse danoise

Cette fleur de moi pour toi amour, Eve et Lilith , Lilith et Eve

Jolis émois de mai

ILL. Eugenia Loli

De mon cœur jaillit

De l’eau si pure qui, débordée,

Devient toute turbide.

Tu es un fils du péché,

Moi aussi, j’en suis une fille.

*

Par les trois milles lieux,

Je parvins auprès de toi,

Ô mon amoureux,

Aujourd’hui que de l’osier

Les duvets s’éparpillent.

*

Ô nous sommes en mai,

Ils sont de couleur du feu,

Les champs de la France.

Toi, tu es un coquelicot,

Un coquelicot, moi aussi.

Yosano Akiko – Poétesse Japonaise

Une des toutes premières féministes de son état au monde. Pas assez selon certaines, notamment la radicale Hiratsuka Raichô. Mais Yosano Akiko était avant tout une femme sensuelle, une grande amoureuse, une poétesse audacieuse et elle a eu la raison de s’en naître.

Ceci pour toi mon amour, mon tendre, mon irrévérencieux Verbe Sauvage

Geneviève d’Hoop

amant de nulle part

je te cherche en déraison

je viens abreuver un désert

où commence le temps de l’union

entre l’océan et tes lèvres

j’ai les yeux clairs jusqu’au ruisseau

je t’apporte la douceur la folie

ma chair est voyante

je suis monastère de vie

tout est ciel

je parle ton langage jusqu’à la mer

*

caresse la terre

caresse les feuilles

mon corps remue sous la glaise

je suis née de tes moissons

par la veine et l’eau

j’ai vécu couchée dans les averses

un amour de grêlons

chaque orage a sa brûlure

chaque souffle a son rivage

je suis encore debout

à guetter la lumière

Geneviève d’Hoop – poème extrait de l’anthologie intitulée  » Poèmes de femmes des origines à nos jours  » par Régine Deforges .

Que je t’offre amour, mon aimant amant de partout , que je nous offre à nous également, pour ces jours-ci où nous nous partageons comme à nos débuts cette singulière Lumière… Tu te souviens ? C’était notre tout premier mot d’à corps denses.

Si lents si eux

ILL. Edvard Munch – Le baiser sur la plage – 1921

 » Debout dans le vent léger, sous le soleil qui nous chauffe un seul côté du visage, nous regardons la lumière descendre du ciel, la mer sans une ride et le sourire de ses dents éclatantes. Avant d’entrer dans le royaume des ruines, pour la dernière fois nous sommes spectateurs.

Au bout de quelques pas, les absinthes nous prennent à la gorge. Leur laine grise couvre les ruines à perte de vue. Leur essence fermente sous la chaleur, et de la terre au soleil monte sur toute l’étendue du monde un alcool généreux qui fait vaciller le ciel. Nous marchons à la rencontre de l’amour et du désir.

Nous ne cherchons pas de leçons ni d’amère philosophie qu’on demande à la grandeur.

Hors du soleil, des baisers et des parfums sauvages, tout nous paraît futile. « 

Albert Camus –  » Noces à Tipasa « 

Je t’aime mon bel amour , je t’aime tout ce tant même si Monde ne nous en offre pas temps je t’aime

D’eux si aime saison

ILL. Daria Pochinskaya

A

V

R

I

L

4 . 2 Te pétrir aux rayons

à l’obédience des saisons

Nu dans les ailes de la chair

Francine CARON – Recueil  » L’Année d’amour » Ed. aux amis de NARD

*

A l’hirondelle

le fumet des nus en jeux

ailes fuselées

*

L’eau se file amants

en bordure de lèvres

nos langues à tisser

*

Miss coccinelle

se repaît de pucerons

fringale et ventrée

*

Couleur de roses

Dame Valériane

ombre les fourmis

La Joie

ILL. Ron Hicks  » L’Amour à la campagne »

DÉFENSE DE LA JOIE

Défendre la joie comme une tranchée
la défendre du scandale et de la routine
de la misère et des misérables
des absences transitoires
et de celles définitives

Défendre la joie comme un principe
la défendre de la stupeur et des cauchemars
des neutres et des neutrons
des douces infamies
et des graves diagnostics

défendre la joie comme un drapeau
la défendre de la foudre et de la mélancolie
des naïfs et des canailles
de la rhétorique et des arrêts cardiaques
des endémies et des académies

défendre la joie comme un destin
la défendre du feu et des pompiers
des suicides et des homicides
des vacances et de la fatigue
de l’obligation d’être joyeux

défendre la joie comme une certitude
la défendre de l’oxyde et de la crasse
de la fameuse patine du temps
de la rouille et de l’opportunisme
des proxénètes du rire

défendre la joie comme un droit
la défendre de Dieu et de l’hiver
des majuscules et de la mort
des noms de familles et des peines
du hasard
et aussi de la joie

Mario Benedetti

A deux fendre la poire de notre joie , seul fruit qui n’est pas défendu par les bigots de tous poils, mon amour