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Ode à Marcel Moreau

 

Ce matin j’apprends par voix de presse dissidente que tu es mort. Cela te va bien, cela te reste bien, cela me sourit à travers les larmes qui me sont montées aux yeux que cet événement dans les jalons du tant, fut par cette voie.

Tu as toujours été à part et j’ai dû te chercher, te poursuivre, ensuite, avec une jubilatoire frénésie dans ces confins de l’élite et ratures qui croit faire le monde bien pensant de toutes et tous.

Tu ne meurs pas pourtant. Je dois te dire jusque là où tu te trouves maintenant, que tu restes comme le parrain de l’âme-Our tandis que Joyce Mansour en est la marraine. Chacun de vous deux, en l’homme, en la femme, enfin en peaux si « monstrueuses », est la mastication du soleil et son revers en pluie d’ombres. C’est dans ton impulsion et la révélation charnue-ailes de tes écrits que je savoure la joie d’écrire, de lire, de ressentir, de vivre dans , pour , avec l’amour de mon Rayénari.

Pour cela, humblement t’écrire merci.

Albert Einstein disait : Je crois en la réincarnation car l’énergie se transforme mais ne peut pas mourir.

Je ne te dirai donc pas le traditionnel Reste En Paix car les livres de toi sont un jour entrés, par mes yeux d’abord , par la vibration dansée de tes mots ensuite dans ma chair. Tu y vivras et y construiras d’intenses forêts ramificatrices à tout jamais. Et dans ces endroits où grouille incessamment la vie et l ‘amour, le mot paix est une erreur de vocabulaire.

Quelques mots de toi.

« Car il n’est point d’instinct passion­nel sans fascination de l’irréparable. »

 « Se danser. Être dansé. T’inviter à danser toi, mon amour, ma voix souterraine, toi mon infri­vole nature. »

La compagnie des femmes.

Du sein qu’elle te tend, comme une mère, aux fellations qu’elle te fait, comme une barbare, et autres heures savoureuses, les yeux dans les yeux, tu reçois de la femme ta recréation d’homme, ta naissance bissée, mais cette fois sans mesure. Oublie un ins­tant l’offrande luxurieuse. Pense, écris, proclame que tu lui dois l’esprit.

La compagnie des femmes.

Il ne suffit pas que l’écriture soit un chant, il faut qu’elle drogue, qu’elle enivre, qu’elle provoque chez le lecteur ces somptueuses titubations intimes sans lesquelles il n’est point de profondeur révélée. Il s’agit d’écrire un livre qui se boive, qui se danse plus qu’il se lise…

Lettre à Anaïs Nin.

Heureusement j’écris et j’aime, ce qui me permet de ne pas prêter une oreille absolue à cette morne « musique de l’ennui » qui suinte par tous les pores, désormais sans frontières, du discours contre l’être, le discours de la clôture de cet être.
Quintes- L’ivre livre

Cette nuit là, j’ai gardé les yeux grand ouverts. Pour laisser passer la mort se retirant en moi. en un sens inverse pour laisser entrer la vie, ne venant que de toi. La mort me quittant, ta vie m’envahissant se sont sans doute croisées, dans mes yeux grand ouverts. Se sont-elles parlé? si oui. Comment savoir ce qu’elles se sont dit? Le pire serait que que la mort ait dit à ma vie  » je reviendrai « . Mais le pire du pire serait que ta vie ait dit à ma mort  » je repartirai « . Car alors, vraiment, je n’aurais plus qu’a m’en aller tout de suite, de ne pouvoir retarder ce retour, n’ayant pu m’empêcher ce départ, le mieux serait que la mort t’ai dit  » je lui reviendrai quand tu sera partie « , mais le mieux du mieux serait que la vie que tu as fait entrer en moi ne réponde rien, en la croisant, a la mort que tu en fais sortir, comme si le bonheur l’avait rendue sourde ou muette,ou les deux.

Nous, amants, au bonheur ne croyant…

J’allais au livre, mon corps y allait mû par un désir de la même famille, lascive et goulue, que ceux dont mon érection concentrait les effets, à l’approche d’une fille s’entrebâillant du déhanché. En lisant, je voyais la chair intime des mots avant d’en percevoir le sens évident.

La violoncelliste

Les mots produisent du sens. Alors je ne sais pas si c’est le sens du dictionnaire, mais enfin ils ont un sens pour moi, puisque je ne peux plus me passer d’eux – ils vont faire ma vie. Je me lève tous les jours à cinq heures du matin, mais ce sont les mots qui me réveillent, ils ont une vie. Ils me disent maintenant tu te lèves et tu nous écris, ou on t’écrit ! C’est un cas de possession. Je ne peux pas faire autrement. Je voudrais bien, à certains moments, m’offrir à une autre délectation que cela, mais bon, c’est comme ça, c’est ma vie. Cela n’a fait que s’aggraver depuis le premier livre, « Quintes », jusqu’à aujourd’hui. Marcel Moreau, sur France Culture

J’ai lu dans un journal qu’on cherchait un correcteur. Je ne savais pas très bien ce que ça voulait dire, mais je savais au moins que ça concernant la langue française. Alors j’ai posé ma candidature, on m’a pris à l’essai et on m’a gardé, au journal Le Soir. Pour moi, c’était une période infernale, il était temps que j’en sorte. J’avais une haine pour un chef, une espèce d’ingénieur. J’ai trouvé le même emploi, mais à Paris. Alors là, ma vie a changé. (…) L’écriture journalistique me hérissait. Je rêvais d’une autre écriture, plus poétique peut-être, plus brutale aussi. 

Tu crois poser la main sur un ventre. Tu la poses sur un pandémonium.Elle croit poser la main sur un livre. Elle la pose sur une poudrière. Les deux mains se cherchent, se joignent.C’en est fait de la morne existence.

(Amours à en mourir.)

Je cherche dans ta croupe des bonheurs animaux, que je traduirai en musqués madrigaux . Car avec toi, rien de ce qui se vautre, ne s’exempte du chant. Je peux tout oser, de l’élégance du cœur au lyrisme omnivore. Nous sommes de la race qu efface les frontières séparant l’ordre et le désordre, le licencieux et le révérencieux. Et le calcul n’est pas de mise entre nos tendresses, ni la censure entre nos échevellements.

(…)

Tes fausses accalmies me troublent. Sous tes traits pacifiés, sous tes paupières closes, ton immodération remue. Tes poses d’inanimée recréent en grand secret le fort vin du désir.

Doucement, tu déplies tes lenteurs, les déroules, les étales, comme pour faire satiété, nonchalance imprégnée. C’est ta façon à toi de reprendre ta fièvre là où tu l’avais laissée. Et moi, ma langue dans ta langueur, j’attends ta réplique suivante, son injonction nouvelle, ces mots qui sont comme inouïs chaque fois qu’ils se répètent, demandant à l’amour de faire encore l’amour.

(…)

J’ai vu tes doux yeux ivres retenir en eux ma semence, la bleuir de leur bleu, refléter ses reflets, et couler comme elle coule.

(…)

Contre Mallarmé, j’écris : ta chair n’est point triste et j’ai bu toutes tes lèvres. « Tes succulences de vulve », j’ose écrire ces mots, d’un emploi si exact, d ‘une hérétique beauté, bafouant Heredia.

(…)

Je me fiche de la poésie constructive, je la pulvérise ! Je n’ai rien d’autre à déclarer que l’immense désordre de mes acharnements, en charge de ta chair.

(…)

Un rut rustique et rutilant semble encore éclairer cet enlacement de nous, redevenus humains, exemplaires de tendresse, et de doux chuchotis, et de buées de joie. Tu m’as dit de t’aimer, j’ai obéit au feu. Ton enclos des délices ébruite encore vers moi ton art de me l’ouvrir, ton goût que je m’y perde, ta rage que je t’en grise.

(Insensément ton corps.)

Il est des profondeurs dans lesquelles la plupart des êtres n’osent s’aventurer. Ce sont les abîmes infernaux de notre vie instinctive, cette descente dans nos cauchemars si essentielle à notre « re-naissance » même. Le voyage mythologique du héros implique le grand combat avec les démons. Marcel Moreau a engagé cette lutteAnaïs Nin