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Le Rêve de nos lèvres

J. Styrsky

(Jindrich Styrsky – Emilie vient à moi en rêve)

Il l’aimait elle l’aimait
Il suçait de ses baisers tout son passé son futur du moins l’essayait-il
Il n’avait d’appétit que pour elle
Elle le mordait le rongeait le suçait
Elle le voulait intégralement en elle
Bien à l’abri au chaud à jamais pour toujours
Leurs cris voltigeaient petits oiseaux dans les rideaux

Ses yeux à elle n’avaient besoin d’aucune distraction
Elle lui clouait mains poignets coudes avec ses regards
Lui l’agrippait très fort pour que la vie
Ne la sépare pas de l’instant

Il voulait que le futur cesse
Il voulait basculer, bras lui entourant la taille,
Depuis le bord même de l’instant, tomber avec elle au néant,
Dans l’infini ou autre chose qui existât
Elle avait l’étreinte pareille à une immense presse
A l’imprimer en elle
Lui, sourires pareils aux mansardes d’un château de fée
Où le monde réel n’entrait jamais
Elle, sourires comme morsures d’araignée
Qui le paralysaient jusqu’à ce qu’elle ait faim
Ses mots à lui étaient armés d’occupation
Ses rires à elle, tentatives d’assassinat
Lui ses regards, balles et dagues de vengeance
Elle ses regards, fantômes dans les coins avec d’horribles secrets
Lui ses murmures, fouets et bottes militaires,
Elle ses baisers, juristes écrivant sans interruption,
Lui ses caresses, hameçons ultimes du naufragé
Elle ses ruses d’amour, grincements de serrures
Leurs cris à tous les deux se traînaient sur les parquets
Comme animal tirant derrière lui un grand piège

Ses promesses à lui étaient bâillons de chirurgien
Ses promesses à elle lui décalottaient le crâne
Elle en faisait une broche
De ses serments il lui arrachait tous ses muscles à elle
Il lui montrait comment faire un nœud d’amour
De ses serments elle plongeait ses yeux dans le formol
Tout au fond d’un tiroir secret
Leurs hurlements collaient aux murs
Leurs têtes tombaient séparément dans le sommeil comme deux moitiés
D’un melon tranché, mais l’amour ne s’arrête pas facilement

Dans le pêle-mêle de leur sommeil ils s’échangeaient bras et jambes
Leurs cerveaux se prenaient l’un l’autre en otage dans leurs rêves

Au matin chacun arborait le visage de l’autre

Ted Hughes – Chanson d’amour – 1967

(Poète amoureux de Sylvia Plath)

Transe

Théodore_Géricault_-_le baiser

 

(Théodore Géricault – Le baiser)

Mon amour pour avoir figuré mes désirs
Mis tes lèvres au ciel de tes mots comme un astre
Tes baisers dans la nuit vivante
Et le sillage des tes bras autour de moi
Comme une flamme en signe de conquête
Mes rêves sont au monde
Clairs et perpétuels.

Et quand tu n’es pas là
Je rêve que je dors je rêve que je rêve.

Paul Eluard, « Mon amour pour avoir figuré mes désirs »  L’Amour, la Poésie, 1929.

 

Salt-saisons de nos lèvres

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(Enki Bilal)

Je sais le sel …

 

Je sais le sel de ta peau sèche

Depuis que l’été s’est fait hiver

De la chair au repos dans la sueur nocturne.

Je sais le sel du lait que nous avons bu

Quand de nos bouches les lèvres se resserraient

Et que notre cœur battait dans notre sexe.

Je sais le sel de tes cheveux noirs

Ou blonds ou gris qui s’enroulent

Dans ce sommeil aux reflets bleutés.

Je sais le sel qui reste dans mes mains

Comme sur les plages reste le parfum

Quand la marée descendue se retire.

Je sais le sel de ta bouche, le sel

De ta langue, les sel de tes seins,

Et celui de ta taille quand elle se fait hanche.

Tout ce sel je sais qu’il n’est que de toi,

Ou de moi en toi ou de toi en moi,

Poudre cristalline d’amants enlacés.

Jorge de Sena.

 

Baiser Amor

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(Erica Chappuis)

Oh ! si j’étais en ce beau sein ravie

Oh ! si j’étais en ce beau sein ravie
De celui-là pour lequel vais mourant ;
Si avec lui vive le demeurant
De mes courts jours ne m’empêchait envie ;

Si m’accolant, me disait : Chère Amie,
Contentons-nous l’un l’autre, s’assurant
Que jà tempête, Euripe, ni courant
Ne nous pourra déjoindre en notre vie ;

Si, de mes bras le tenant accolé,
Comme du lierre est l’arbre encercelé,
La mort venait, de mon aise envieuse,

Lors que souef* plus il me baiserait,
Et mon esprit sur ses lèvres fuirait,
Bien je mourrais, plus que vivante, heureuse.

Louise Labé.

(*) doucement