Chapeau de paille blonde Bouteille vide ou entamée Trousseau de clés qui tombe Et c’est l’été Grillon sous les persiennes Ta porte entrebâillée Mes pas qui vont qui viennent Et c’est l’été Parfum froissé de chambre Dehors le blé des prés Ta peau safran et d’ambre Et c’est l’été. — N’être que dans ce soupir De l’être qu’on attend Respirer lentement Pour freiner le désir De souffrir De rire ou de pleurer N’être plus là ni ailleurs Mais dans cette attente Qui voudrait s’emballer Cravacher les minutes Mordre et déchiqueter Les jours et les nuits Jusqu’à ce qu’il vienne Jusqu’à ce qu’on se souvienne Que l’instant n’est rien Sans l’infini. BIELECKI Isabelle – Extraits de « Plumes d’Icare »
Mon abandon né Entre les leviers farouches La hutte chaude de ta bouche Entendre bruire le flot des oiseaux Que tu as volé dans le ciel En corps à l’affût Derrière tes crocs
En toi mon astre au logos Se fond la foi rude de mes os Et se désaltère mon ego rythme De l’hébétude sur l’hymne Sanglant de tes rapides de gorge
Se jouent les tournois des vertiges Sur mes antiques vestiges Des arguments de ma langue Au frontispice de ton amoureuse harangue Éclats boues suées de salives Entrelacs de grands précipices
Où
Faire avaler à nos petits, ces louves, ces fauves Des mets créant diocèses Exsudés de nos mots, de nos rougeoyantes gangues Creusant ventre à terre de folles tendresses
Ne se repaître de rien Rester toujours dans la bouche d’ombre De nos faims…
Ta bouche pavoise la mienne flopée de pavots comme des drapeaux Sur la grande plaine
Ma bouche Déplie la tienne Drapés de peaux Les ors en amants tôt Nus dans les champs du soleil
Nos bouches Simples parmi les sanglantes Sont aigles royaux S’amusant de l’air du temps Des montagnes dressées devant Les serres entre coquelicots Et succulentes…
(Brancusi – Le Baiser – Cimetière de Montparnasse)
Elle vit dans le long bloc un poème résolument moderne, une déclaration d’amour à la vie, à l’ardeur, à l’union. Elle fut frappée par cette sculpture naïve, presque enfantine, ou brute dans son rendu, qui vous pénétrait instantanément du sentiment de la passion absolue. On était loin des visages éplorés, des drapés, des tourelles, des ferronneries. On était dans un ailleurs, celui des êtres liés par l’indicible des sentiments. Camille prit le temps d’observer chaque détail. C’était un bloc carré, trois fois plus haut que large. Un bloc de calcaire gris un peu grossier parsemé d’éclats noirs. Les amants y étaient pris entiers. Nus. Enlacés étroitement. Fondus l’un d’en l’autre. Deux amants assis, face à face, leurs bras encerclant tendrement l’autre, sans pression, sans excès. Pieds à plat, cuisses repliées, jambes de l’homme enserrées avec douceur, imbriquées avec naturel entre celles de la femme. Quelques détails, à peine suggérés : une chevelure longue séparée en bandeaux dévalant le dos de la femme, le haut relief des bras, le doux rebondi du sein. Ils sont là, front contre front, regard contre regard, nez contre nez, lèvres à lèvres. C’est un baiser immense. Un amour absolu. Un acte sexuel intense et innocent à la fois. Évident.
Mon amour pour avoir figuré mes désirs
Mis tes lèvres au ciel de tes mots comme un astre
Tes baisers dans la nuit vivante
Et le sillage des tes bras autour de moi
Comme une flamme en signe de conquête
Mes rêves sont au monde
Clairs et perpétuels.
Et quand tu n’es pas là Je rêve que je dors je rêve que je rêve.
Paul Eluard,« Mon amour pour avoir figuré mes désirs » L’Amour, la Poésie, 1929.
« Avec certains êtres, très rares, il faudrait ne pas parler. Il faudrait tout de suite être dans les bras, caresser le visage, les paupières, les joues, les lèvres, les effleurer d’un doigt, lentement d’abord, puis dans un baiser, passionnément. S’embrasser. S’étreindre. Les mots sont inutiles. Les mots viendraient plus tard confirmer ce que les corps ont su dès les premiers instants. »
Un temps fou – Laurence Tardieu
Pour la toile invisible que nous tissons chaque jour