En passant

Je pense à toi

Je pense à toi maintenant.
Pourquoi ? J’en sais rien.

En fait je crois
que j’ai toujours pensé à toi
Que j’ai toujours écris sur toi,
que je respire pour toi
et rêve de toi depuis toujours
Que tu es l’énergie invisible
qui nourrit mon âme,
le sens de toute chose,
La route pour les oiseaux
dans le ciel
les rires, les larmes,
mon seul espoir
dans les abysses,
et que ton nom
est le secret
écrit en lettres de feu
au cœur de l’univers.

Alors oui je pense à toi .

Que pourrais-je dire d’autre?

J’ai lavé le ciel

J’ai lavé le ciel,
dévoré les comètes
toutes les bêtes
et dans les abysses
précipité les hordes
coupé les cordes
des pianos des violons
brûlé les maisons
et toutes les lettres
de l’alphabet mélangé
les couleurs du jour
et de la nuit
dragué la mémoire
retiré les ampoules
mangé la lumière
avec tous ses saints
rongé la faim les doigts
les tibias et la foi
jusqu’à qu’il ne reste rien
de rien
et dans ce rien
qui m’habitait
qui m’entourait
tu étais là,
unique et infinie.

Ana Ristovic

Carte Postale désespérée

On ne collera sur moi aucun timbre,
personne ne m’enverra par la poste,
Air Mail se décollant de moi
comme de mon passeport l’opportunité d’aller à l’étranger
qui me conduirait juste
dans un putain de trou du cul.

Parce que je n’ai à offrir aucun paysage
ni le coucher du soleil à encadrer
ni les roses artificielles souhaitées pour le vase.

J’indique peu de choses, c’est presque rien.

Un texte trop exigeant
trop long, trop compliqué,
c’est tout ce que je peux offrir,
au verso

de la carte postale que personne
ne voudrait garder dans sa poche.

Parce que transporter autant de mots avec soi
ce serait comme transporter des pierres
impropres à la construction d’une maison
ou un quelconque tombeau.

Seule la date de péremption
me réduirait enfin
au recyclage.

traduit par Mirjana Robin-Cerovic

Autour de la chose

Nous voilà, femmes indépendantes.
Dans l’attente d’un nouvel amour
notre respiration est asthmatique. Gavées de pilules
de promesses trahies. Plongées dans des rêves troubles.
Vingt-quatre heures par jour nous faisons l’amour
en pardonnant à la migraine du fait de son genre féminin.

Indépendantes. A nos hommes
nous préparons des plats auxquels nous ont initiées
leurs prédécesseurs.
Des macarons en forme de clitoris.
Du ketchup qui s’épand comme le sang menstruel
promettant juste le léchage de l’assiette.

Mais nous croyons encore aux arcs triomphants
s’élevant entre le lit
et la table de cuisine.

Nous leur passons la musique que nous écoutions
au moment de perdre virginité et enfance.

De la lingerie de séduction
mélancoliques nous gardons les échantillons
portant la trace invisible d’autres spermes.
Nous roulons des hanches comme tourne le moulin :
après un certain temps il ne s’en écoule
rien qu’un peu de bile collante.

Enfin nous disons que nous ne croyons plus
à l’air partagé
celui qui réunirait les deux bouches
bien que le plus souvent nous en avons le souffle coupé.

Et nous disons que la centrifugeuse du lave-linge
nous sert uniquement lorsque nous faisons
joujou dessus en vue d’un bon orgasme.
Puis, dans  le programme du trop-plein et de l’essorage
à la place des vêtements, nous fourrons souvent
morceau par morceau, notre peau laminé.

Nous, femmes indépendantes. Nous censurons
nos paroles trop conciliantes.
Nous soutenons la révision des sentiments, et la théorie
d’une Eve innocente créée en premier
avec Adam mordant dans la pomme empoisonnée
car il désirait que Dieu
change ce serpent en deux phallus :
il pensait, le pauvret, qu’un seul
serait bien insuffisant.

Indépendantes, disais-je, plus que jamais.
Mais au long des nuits solitaires, dans la vulve étroite
nous posons de plus en plus souvent notre petit doigt miraculeux
comme si nous chargions une balle dans le canon d’un fusil
destiné à ne jamais faire feu.
Puis nous sourions, peinées, dans un rêve sans rêves.
Avec la main en lieu sûr, tant qu’elle tourne
autour du zéro moelleux.
Mirjana Robin-Cerovic

La chose

Elle rayonne. Elle te voit
là où tu ne t’es pas encore vu.
Et retient en mémoire ce que tu délaisses.

Sous le nez elle te le remet, tendrement,
avec des pincettes. Presque invisible.
Et, tiens, soudain, une masse.

Lettre à la maîtresse, au chef, au copain,
du pareil au même. Plus souvent tu écris,
plus l’on ne te retrouve que des virgules
s’il en reste encore quelques-unes.

Plus tu écris et plus augmente en toi
la peur de rencontrer quelqu’un.
Mais tu as dépeins les parties de ton corps,
et tu avais déjà dit je t’aime.

Ton visage se reflète sur l’écran
à la manière d’un cliché de radiographie.

Rien que des os.

Et ce qu’avait été le regard se mesure
par la profondeur des trous noirs.

De minuscules enfants y poussent
de la taille d’un grain de phosphore qui
bien entendu, tout comme les couches, rayonne.

Et déjà l’odeur du souffre se repand.

traduit par
Mirjana Robin-Cerovic

ana-ristovic http://www.recoursaupoeme.fr